12/10/2005
Le sortilège de Viviane
Je savais bien qu’elle m’avait parlé du lieu d’origine de sa famille. Mais je ne me souvenais pas du nom du village. Le seul souvenir que je possédais était sa proximité – toute relative – avec Rennes. J’avais beau chercher sur une carte, aucun bourg, village, aucun lieu-dit ne me rappelait quoi que ce soit. Je savais posséder cette information… Mais où ?
L’autre interrogation était liée aux raisons que me poussaient à retrouver cet endroit. Je ne voulais pas spécialement y aller. Je savais bien où elle vivait aujourd’hui. Que pouvait bien représenter cet engouement pour un lieu que je n’avais même pas connu, dont je ne possédais aucun souvenir personnel ?
J’ai retrouvé finalement le nom du village dans un courrier qu’elle m’avait adressé dans les premiers jours d’août 1982. Il s’appelle Guer et se trouve adossé non loin de la route qui relie Rennes à Ploërmel. Il n’est pas très connu, si ce n’est par sa proximité de la forêt de Brocéliande. Les légendes ne sont jamais loin des terres profondes de la Bretagne.
La relecture de sa lettre m’a profondément émue. Rien à voir avec de la nostalgie. Un trouble douloureux. La persuasion d’avoir vécu un immense gâchis. Une vie lumineuse sacrifiée pour éviter la douleur de proches ? Sans doute. C’est d’ailleurs le seul réconfort qui apaise cette souffrance.
J’eus la curiosité d’aller voir si des habitants de Guer portent toujours son nom de jeune fille.
Peut-être d’ailleurs qu’aujourd’hui encore, sa mère y vit ?
Des Xxxxxxx, il y en a une tripotée. Près d’une trentaine. La plupart sont des hommes. Il y a quelques femmes. Le prénom de la première, affiché par le site de France-Télécom, ne me rappelle rien. Encore un oubli ! De plus, le plan qu’il propose, place sa résidence dans le village. Même si elle est légèrement excentrée, cela ne correspond pas à ce qu’écrivait Jeanne : « on va chez ma mère… et on va à Guer (ça c’est le nom de la ville la plus proche). » Ce n’est donc pas Huguette. Il y a Karine aussi, mais ce prénom est d’usage trop récent. Il y a aussi Lucie. Je ne sais pas pourquoi, mais ce prénom m’interpelle. C’est peut-être celui de sa mère. Je consulte le plan et me retrouve au sein même du village, à quelques mètres de l’église.
Ca ne colle pas !
La dernière est Renée. Le prénom ne me dit rien. Mais par contre elle habite à l’extérieur du village, au bout d’une ruelle en impasse, sans doute en pleine campagne. L’adresse est probablement celle d’un lieu-dit : Kerbiguet. Un endroit sans doute rattrapé par l’urbanisation, entre Guer et La Boulais, sur la route qui mène à la RN24.
C’est peut-être bien ça !
Oui. Et maintenant ? Qu’est-ce que je fais de cette information ? Comment poursuivre cette interrogation du passé ? Quel autre moyen de profiter de ces instants d’espérance complètement absurde et obsolètes, mais qui m’octroient un tant soit peu de chaleur au cœur…
Sur la photo du ciel que présente Google Earth, je trouve l’endroit. Entre le lieu dit et le bourg de Guer, un croisement de routes a été réaménagé en un vaste rond-point. Il se met à s’agiter comme un lutin facétieux… Les fées Viviane ou Morgane ont du me jeter un sort. Il est dit que Viviane, après l’avoir séduit, fit tourner neuf fois son voile magique autour de Merlin endormi. Ainsi devint-il son « amant éternel ». Jeanne a du hériter, par quelques sortilèges, des dons de la fée Viviane. Et je suis tout aussi stupide que Merlin, envoûté et enfermé dans cette cage de verre, translucide pour les lecteurs, fragile par son immatérialité, mais si résistante aux épreuves du temps.
Mais moi aussi, je peux également me moquer !
Et je dessine le lutin en l’affublant d’un nez rouge et d’un noeud papillon.
Ce retour à la réalité annihile toute velléité de poursuivre ce jeu stupide. Il y a bien encore Yvette sur la liste de France-Télécom, Mais je suis las.
J’abandonne là.
Et retourne à la dérive, bancale et lancinante, de cette vie élective.
10:53 Écrit par arsobispo dans Mes recherches | Lien permanent | Commentaires (0)